Elle était là, tétanisée à l’idée que je puisse m’approcher d’elle. Je savais au fond de moi que ce n’était pas ma simple présence qui l’angoissait. Le fait d’être en face d’un humain suffisait à lui rappeler tous ces monstres avec lesquels elle vivait.
Voyant son corps enchaîné au passé, je ne pouvais faire autrement que de laisser s’échapper mes larmes. Elle se tenait au plus loin de moi, retenait sa respiration, contractait chacune de ses cellules, et priait pour que ces images ne reprennent jamais vie.
Ce sont ces hommes, aveugles de ce monde, qui la terrorisaient encore aujourd’hui. Oui, il n’avaient pas respecté sa sensibilité et dans son esprit, ils étaient encore là. Je la sentais, cette force masculine, prenant place à nos côtés.
J’ai dû respirer, accepter qu’elle me rejette et m’associe à ce qu’ils lui avaient fait. Prisonnière de sa propre souffrance, je savais qu’elle ne franchirait pas facilement la porte que je lui ouvrais. Je comprenais alors de façon bien plus profonde ce que signifiait être gardien du cheval.
Je sentais l’importance de protéger ce lien sacré qui nous relie à cet animal. Mais surtout, le devoir de protéger ce lien qui le relie à sa propre âme.
Ici, je me retrouvais face à une jument qui, de par la souffrance, avait fini par oublier ce lien. Et pour le retrouver, je savais qu’il nous restait à nous déposer, ensemble, dans ce profond et mystérieux silence qui nous unissait..
J’ai alors commencé à respirer et à me relier à tout ce soutien qui nous entoure et qui attend avec une infinie patience de nous aider. J’ai ressenti l’amour et la bienveillance de la terre. La joie des alliés qui pouvaient à nouveau honorer le lien qui unit l’humain au cheval. L’esprit du troupeau était également là. Il soutenait dans cette vision large le chemin que nous prenions toutes les deux.
Je sentais la préciosité de ce lien qui était en train de se tisser. Elle sortait de l’oubli, et pouvait reprendre confiance en qui elle était. Je ressentais toute sa beauté, toute sa grandeur, toute son ancienneté …
Des larmes coulaient à nouveau sur mes joues. J’étais remplie de gratitude et de bienveillance. L’âme était bien là. Elle se reliait à la mienne avec une telle force !
Puis, soutenue par cette infinie bienveillance, sa colère a pu remonter. Elle venait me brûler à l’intérieur de mon propre corps. De profondes racines d’injustice s’arrachaient de son estomac. Ils n’avaient pas le droit de faire cela. Ils n’avaient pas le droit de l’enfermer et d’en abuser.
Mes mâchoires se serraient. Mon souffle s’amplifiait.Je reconnaissais l’esprit de la jument et celui de la femme comme partageant une souffrance commune.
Je sentais que cette respiration venait du plus profond de la terre, et que tout ce soutien qui remontait aidait à ce que la colère nous traverse. Puis le temps s’est comme suspendu…
Dans un profond soupir, nos muscles se sont relâchés. Nous découvrions ce nouvel espace de vie rempli de reconnaissance et d’apaisement.
Elle commença à me regarder, et c’est à nouveau les yeux remplis de larmes que je recevais son regard. Elle me voyait. Je pouvais me retourner… cette présence masculine avait disparu. Le monstre n’était plus.
J’ai senti sa volonté de traverser cette porte qui nous séparait encore. Et cette phrase a su accompagner cette envie… je ne te trahirai jamais…
Ces mots résonnaient dans l’éternité et faisaient écho au pacte conclu entre l’humain et le cheval à leur première rencontre.
Elle vint me rejoindre. La force et la joie de l’esprit libre m’ont alors envahie. Nos deux âmes se reconnaissaient et se liaient dans cette voie quasi ancestrale… Je me surpris à sourire, sentant la promesse que cet accueil pouvait offrir…
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